Décisions 2019–2020

2020

Affaire: 2018-12-01 du 23.04.2019

Mots-clés : Éducation en langue minoritaire, droit / Système éducatif / Langue, officielle, renforcement / Discrimination, liste, motifs interdits.

Sommaire (points de droit):

Le droit de recevoir un enseignement public dans une langue qui n’est pas la langue officielle de l’État n’entre pas dans le champ d’application du droit à l’éducation garanti par la Constitution. Les groupes de personnes dont la langue maternelle est différente ne se trouvent pas dans des situations comparables. En tant que tel, le principe d’égalité devant la loi n’exige pas qu’ils soient traités différemment en ce qui concerne l’enseignement des langues à l’école. Le droit à la protection des minorités n’exige pas la création d’écoles financées par l’État qui peuvent dispenser un enseignement en langues minoritaires. Il suffit que le système d’enseignement public donne aux minorités ethniques la possibilité de maintenir et de développer leur langue et leurs caractéristiques ethniques et culturelles. Les avis des comités d’experts ne lient pas l’État en tant que tel. Ils consolident ou favorisent la pratique ultérieure des États au sens de l’article 31.3.b de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Si les conclusions d’un organe d’experts sont fondées sur des informations insuffisantes, ou si l’organe d’experts ne dispose pas d’arguments juridiques suffisants, elles ne constituent pas une interprétation contraignante du droit international.

Résumé :

I. L’affaire a été engagée à la demande de vingt députés. Ceux-ci ont contesté un certain nombre de modifications de la législation lettone en matière d’éducation qui concernaient la transition vers un enseignement en langue lettone. Les modifications visaient à garantir que l’enseignement en letton dans les écoles destinées à des minorités passe de 50 % (du cours préparatoire à la sixième) à 100 % (de la seconde à la terminale). La Cour constitutionnelle a analysé la constitutionnalité de ces modifications en ce qui concerne la langue d’enseignement dans les écoles publiques. La réglementation des écoles privées doit faire l’objet d’un examen distinct en 2019. La constitutionnalité de la transition vers le letton comme seule langue d’enseignement avait déjà été confirmée par la Cour constitutionnelle dans sa décision n° 2004-18-0106 de 2005.

Les requérants ont fait valoir que les diverses modifications législatives n’étaient pas conformes aux exigences de l’article 112 de la Constitution (droit à l’éducation), de l’article 91 de la Constitution (égalité devant la loi) et de l’article 114 de la Constitution (droit des minorités de conserver leur langue et leurs caractéristiques ethniques et culturelles).

II. À la faveur du contrôle de conformité des amendements législatifs à l’article 112 de la Constitution, la Cour a jugé que l’État devait établir un système éducatif accessible à tous les élèves. Dans un arrêt précédent, elle avait estimé que la Convention européenne des Droits de l’Homme n’exigeait pas qu’un État garantisse un choix illimité de langues dans laquelle l’enseignement était dispensé dans le système éducatif établi. Au contraire, celui-ci garantit le droit de bénéficier de toutes les possibilités offertes par le système éducatif déjà en place. La Cour s’est également référée à la Cour européenne des Droits de l’Homme selon laquelle l’article 2 Protocole 1 CEDH ne confère pas aux parents le droit de faire instruire leurs enfants dans une langue autre que la langue officielle de l’État.

Pour faire en sorte qu’un système éducatif public soit véritablement accessible, il pourrait être nécessaire de prendre des mesures particulières afin de favoriser l’apprentissage de la langue officielle. Toutefois, l’article 112 de la Constitution n’oblige pas l’État à établir un cadre dans lequel les parents puissent choisir la durée de l’enseignement dans une langue donnée. Par conséquent, la plainte des requérants ne relevait pas du champ d’application de l’article 112 de la Constitution et la procédure a été classée à cet égard.

En ce qui concerne la question de l’égalité devant la loi, la Cour a reconnu que personne ne peut faire l’objet d’une discrimination fondée sur sa langue et sa nationalité. Les requérants ont estimé que le principe d’égalité devant la loi exigeait un traitement différencié des personnes, de sorte que les élèves dont la langue maternelle est la langue officielle et ceux dont la langue maternelle est une langue minoritaire soient traités différemment. La Cour a jugé que des groupes spécifiques de la société dont la langue maternelle était différente ne devaient pas être considérés comme se trouvant dans une situation comparable. En tant que tel, l’article 91 de la Constitution ne leur garantit pas le droit à un traitement différent pour ce qui est de la langue dans laquelle ils suivent leur scolarité dans les établissements d’enseignement du système public. Par conséquent, la Cour a jugé que les modifications législatives étaient conformes à l’article 91 de la Constitution.

S’agissant de l’article 114 de la Constitution, la Cour a estimé que les résidents permanents de Lettonie qui s’identifient à une minorité ethnique historique lettone jouissaient des droits garantis par cette disposition.

Les requérants soutenaient, entre autres, que la transition vers le letton comme langue d’enseignement n’était pas conforme aux normes découlant de l’article 14.2 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. La Cour a estimé que la norme découlant de la Convention-cadre, qui liait la Lettonie, était déterminée, entre autres, par la pratique des autres États parties et qu’elle devait être considérée comme une pratique ultérieure au sens de l’article 31.3.b de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Citant les travaux de la Commission du droit international, la Cour a souligné que les avis des comités d’experts conventionnels peuvent établir une pratique existante dans différents États ou favoriser la consolidation d’une telle pratique. Toutefois, la Cour a souligné que seuls les tribunaux étaient autorisés à établir une interprétation contraignante d’un traité international. Les conclusions et recommandations des comités d’experts ne devaient être prises en compte que sur la base du principe d’interprétation de bonne foi des traités.

La Cour s’est ensuite penchée sur les conclusions du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale concernant la Lettonie. Tout en tenant compte du fait que les deux organes d’experts avaient exprimé des préoccupations concernant l’incidence des réformes éducatives sur les minorités ethniques, la Cour a indiqué que ces conclusions pouvaient avoir été tirées des informations et des arguments juridiques qui avaient été communiqués aux experts respectifs. La Cour constitutionnelle a donc indiqué qu’elle ne pouvait conclure, sur la base de la Convention-cadre, qu’il existait une obligation de garantir le droit des minorités ethniques de maintenir et de développer leurs caractéristiques linguistiques, ethniques et culturelles en recevant un enseignement dans une langue minoritaire dans le cadre du système d’enseignement public, indépendamment du système constitutionnel de l’État concerné. La mise en œuvre des droits des minorités ne peut être effectuée de manière à promouvoir la ségrégation au sein de la société et à compromettre ainsi l’unité de la société. Le système éducatif conçu par la Lettonie garantit le droit des minorités nationales d’apprendre ces langues minoritaires ainsi que de conserver leur culture et leur identité, tout en donnant à ces élèves issus de minorités la possibilité de devenir des membres à part entière de la société lettone. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 114 de la Constitution.


2019

Affaire: 2018-10-0103 du 21.02.2019

Mots-clés : Interprétation, ambigüité / Loi, précision, nécessité / Loi, qualité, conséquences prévisibles / Nullum crimen sine lege.

Sommaire (points de droit):

Le droit d’une personne de connaître ses droits garantis par l’article 90 de la Constitution comprend l’obligation qui incombe à l’État de créer un mécanisme permettant de faire en sorte que les personnes connaissent les règles de droit et leur contenu. Les individus ont un droit public subjectif d’être correctement informés de leurs droits et obligations. Ce droit découle du droit de connaître la nature des lois, selon lequel chaque loi doit être accessible, suffisamment claire et prévisible. Une règle ne peut produire des effets juridiques que si elle satisfait à tous ces critères.

La responsabilité pénale est la forme la plus grave de responsabilité légale. Par conséquent, le contenu des dispositions qui imposeraient une responsabilité pénale doit être plus précis que les dispositions des autres branches du droit. Pour satisfaire aux critères d’accessibilité, de clarté et de prévisibilité, il n’est pas nécessaire que toute disposition juridique résultant du principe nullum crimen, nulla poena sine lege soit formulée comme une instruction.

Aussi claire et précise qu’elle soit, cette disposition légale est toujours sujette à interprétation. Les doutes sur la portée d’une règle de droit ne suffisent pas pour déclarer la règle imprécise ou imprévisible si, dans la plupart des cas, elle est suffisamment claire.

Résumé :

I. L’affaire a été engagée à la suite d’une demande présentée par une personne qui avait été condamnée pour l’infraction criminelle de possession d’un dispositif à double usage interdit. Le requérant a contesté une disposition du Code pénal qui comportait une référence à la liste nationale des biens et services d’importance stratégique, établie par le Cabinet des ministres. Il a également contesté la constitutionnalité du règlement du Cabinet dans lequel figure la liste susmentionnée. Il a fait valoir que la disposition en question n’était pas claire (article 90 de la Constitution) et qu’elle violait l’exigence nullum crimen, nulla poena sine lege (article 92.2 de la Constitution).

II. La Cour constitutionnelle a d’abord noté que le droit de connaître ses droits, tel que prévu à l’article 90 de la Constitution, implique, entre autres, des exigences concernant la qualité des dispositions légales. En d’autres termes, toute loi doit être accessible, suffisamment claire et prévisible. L’examen de la clarté et de la prévisibilité d’une loi doit être fondé sur la façon dont elle est correctement interprétée. En d’autres termes, une loi devrait être considérée comme n’étant pas claire si sa véritable signification ne peut être déterminée en utilisant des méthodes d’interprétation établies.

Deuxièmement, en examinant si la disposition est conforme au principe nulla poena sine lege, qui figure dans la deuxième phrase de l’article 92 de la Constitution, la Cour a noté qu’elle devait vérifier si elle avait été adoptée et promulguée conformément à la procédure établie par la loi. En outre, elle devait déterminer si le cadre juridique était accessible, suffisamment clair et prévisible pour constituer un motif valable permettant d’engager la responsabilité pénale d’une personne.

La Cour a reconnu qu’afin de faire en sorte que la réglementation juridique de la technologie demeure possible, la législation devait être rédigée par le législateur selon le principe de la neutralité technologique. Les lois qui ont été rédigées et adoptées conformément à ce principe comprennent des concepts généraux caractérisant les technologies respectives qui doivent être réglementées et le font du point de vue de leur utilisation prévue, de leur incidence, de leurs fonctions et d’autres propriétés générales.

À cet égard, la Cour a souligné que les équipements et dispositifs visés par la réglementation du Cabinet des ministres, dont la validité était mise en cause, n’étaient pas des biens d’usage courant. En outre, une procédure spéciale permet à toute personne de savoir si un dispositif particulier a été inscrit sur la Liste nationale des biens et services d’importance stratégique et, dans l’affirmative, quels types de restrictions il peut y avoir concernant la circulation de ces biens.

Enfin, la Cour a jugé que le seul fait qu’il n’existait pas de jurisprudence antérieure interprétant la loi en question n’était pas déterminant pour contrôler sa clarté et sa prévisibilité, à moins que son contenu ne puisse être déterminé par des méthodes établies pour l’interprétation des lois.

En conséquence, elle a déclaré que les dispositions contestées étaient conformes à la Constitution.