Décisions 2016–2018

2018

Affaire : 2016-04-03 du 18.12.2018

Mots-clés : Pension, droit / Pension, survivant / Héritage, droit / Propriété, droit, restriction / Attente légitime / Cour de justice de l’Union européenne, procédure préjudicielle / Union européenne.

Sommaire (points de droit) :

Les mesures adoptées par les États membres de l’Union européenne pour mettre en œuvre le droit communautaire doivent en respecter les principes généraux, notamment celui de protection des attentes légitimes. Ce droit est opposable aux administrations nationales qui ont pris des engagements spécifiques envers les intéressés et qui ne sauraient trahir leur confiance. Il convient de vérifier si la conduite de l’administration concernée a fait naître une attente et si cette attente est légitime.

Le principe d’attente légitime peut être invoqué pour déterminer si un droit est protégé par l’article 1 Protocole 1 CEDH (protection de la propriété). Le droit de propriété porte, soit sur des biens existant, soit sur des biens à venir, pour lesquels le demandeur peut justifier au moins d’une attente légitime de propriété effective. Ainsi, le principe d’attente légitime peut être invoqué pour déterminer si la disposition contestée porte atteinte au droit à la propriété défini dans la Constitution, y compris les biens dont le particulier peut légitimement s’attendre à bénéficier.

L’État a le droit de définir sa propre politique agricole, entre autres, en sélectionnant des programmes prioritaires et en équilibrant les aides accordées aux différents agriculteurs. Toutefois, il ne peut le faire en allant à l’encontre d’un règlement de l’Union européenne.

Les acteurs économiques n’ont aucune raison de penser qu’un État membre qui met en œuvre un acte de l’Union européenne laissera inchangé le cadre juridique permettant d’hériter d’une aide à la préretraite puisque la réglementation nationale devra être mise en conformité avec le droit communautaire.

Résumé :

I. Le règlement n° 1257/99 du Conseil de l’Union européenne institue des mesures de soutien au développement rural. L’une de ces mesures établit un régime de préretraite qui permet aux agriculteurs âgés qui le souhaitent de cesser leur activité de façon anticipée. Une disposition du document de programmation pour la Lettonie prévoyait la possibilité de céder son exploitation à un tiers et de bénéficier d’une aide à la préretraite ou d’une pension de retraite.

Le litige est né du fait que le décret d’application ministériel du document de programmation prévoyait à l’origine la possibilité d’une transmission successorale de cette pension, disposition supprimée par la suite. Le requérant a avancé que la pension en question était protégée par le droit à la propriété et que la ligne de conduite des autorités nationales et de l’Union européenne avait fait naître une attente légitime de la part des héritiers, qui comptaient donc sur les sommes dues au titre de cette pension.

L’instance a été introduite sur la base d’une requête du tribunal administratif de district. À l’examen de l’affaire, la Cour constitutionnelle a, elle aussi, émis des doutes quant à la portée du droit de propriété à la lumière de la réglementation communautaire susmentionnée. Elle a donc sursis à statuer et posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (C-120/17, Ministru Kabinets). Il s’agissait en l’espèce de savoir si le décret excluait la possibilité d’hériter de la pension et si la disposition abrogée par le Cabinet ministériel aurait pu donner lieu à une attente légitime d’héritage de la pension.

Dans sa réponse, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’héritage de la pension susmentionnée était en principe contraire au règlement de l’UE en question ; toutefois, les sommes perçues au titre de la pension héritée avaient pu susciter une attente légitime pendant une certaine période. La Cour constitutionnelle a estimé que le versement de la préretraite relevait du droit à la propriété. En supprimant la transmission successorale, le Cabinet ministériel avait limité le droit de propriété.

Cette restriction permettait cependant de mettre un terme à l’incompatibilité entre le décret ministériel et le règlement de l’UE. Ainsi, la restriction des droits fondamentaux induite par la modification du décret visait le but légitime de protéger l’ordre démocratique de l’État.

En ce qui concerne la proportionnalité de la disposition contestée, la Cour a estimé que la modification du décret étant compatible avec le règlement de l’UE, qui exclut la transmission successorale de telles pensions, comme le précise l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, la restriction du droit à la propriété a permis d’atteindre l’objectif légitime de protéger l’ordre démocratique de l’État.

Enfin, le droit communautaire ne disposant d’aucune base juridique concernant la transmission successorale de pensions, le Cabinet ministériel a eu raison de modifier la disposition par laquelle il avait auparavant autorisé celle-ci ; en outre, il a supprimé cette disposition sans exiger des bénéficiaires qu’ils remboursent les montants déjà perçus. Ainsi, l’avantage que la société tirait de la restriction du droit à la propriété était-il supérieur au préjudice subi par les personnes qui ne recevaient plus ces montants.


Affaire : 2017-30-01 du 11.10.2018

Mots-clés : Notification / Parti, adresse / Respect de la vie privée, droit / Personne publique / Procédure civile / Défendeur, identification.

Sommaire (points de droit) :

Si une personne physique inconnue du grand public peut prétendre à ce que sa vie privée soit rigoureusement protégée, cela est beaucoup plus difficile en revanche pour les personnes connues, notamment les responsables politiques, dont la vie privée peut pâtir du droit à l’information.

Lorsqu’il s’agit de concilier liberté d’expression et droit au respect de la vie privée, la vie privée des personnalités ne saurait être protégée davantage que celle d’une autre personne.

Toute personne a le droit d’intenter une action au civil à l’encontre d’une autre personne physique, indépendamment du fait que cette dernière soit connue ou non.

Toute personne vivant de façon permanente en Lettonie est tenue de déclarer son lieu de résidence. Cette obligation a pour but de s’assurer que la personne peut être contactée pour ses relations juridiques avec les pouvoirs publics au niveau local ou national.

D’une part, sur le plan civil, le droit fondamental à la protection des données, consacré par la Constitution, et dont peut se prévaloir le défendeur, entre en conflit avec le droit du requérant, tout aussi fondamental et consacré par la Constitution, de faire valoir ses droits dans le cadre d’un procès civil équitable. Cette exigence ne porte atteinte à la vie privée du défendeur que dans la mesure où ses données ne sont communiquées à une personne spécifique dont la demande découle d’une obligation légale, et à celle-ci seulement et où cette personne sera tenue pour responsable en cas d’utilisation abusive. D’autre part, s’il ne peut obtenir du défenseur qu’il lui communique ses données, le requérant perd tout simplement son droit à un recours effectif sur le plan civil.

En raison du développement rapide des technologies de l’information, les différentes juridictions peuvent aujourd’hui accéder beaucoup plus facilement à un certain nombre de bases de données ; toutefois, les dispositions contestées qui régissent les procédures judiciaires civiles n’ont pas changé. Du fait de l’évolution des rapports entre l’autorité judiciaire et les particuliers, le cadre juridique, autrefois conforme à des normes juridiques de rang plus élevé, devient peu à peu obsolète, ce qui pourrait déboucher à terme sur des violations des droits fondamentaux de la personne.

Résumé :

I. Une association a déposé une demande auprès de l’autorité administrative compétente pour obtenir communication du lieu de résidence déclaré de plusieurs ministres et anciens ministres. Cette demande a été présentée en vue d’intenter une action civile contre ces personnes et obtenir réparation de dommages occasionnés par des décisions prises dans l’exercice de leurs fonctions. En vertu du Code de procédure civile, toute personne qui souhaite intenter une action devant une juridiction civile doit indiquer le lieu de résidence du défendeur, et ce, notamment, dans le but d’identifier le tribunal compétent pour connaître du litige.

À l’examen de l’affaire, la Cour suprême a jugé que la communication des renseignements demandés par l’association concernant le lieu de résidence des personnalités publiques concernées restreignait le droit de ces dernières au respect de leur vie privée. En conséquence, elle a saisi la Cour constitutionnelle d’une requête contestant la constitutionnalité de ces dispositions de procédure civile.

II. La Cour constitutionnelle a reconnu que les dispositions contestées restreignaient le droit du défendeur au respect de sa vie privée, mais que cette restriction poursuivait un but légitime, celui de protéger les droits d’autres personnes.

Premièrement, concernant le test de proportionnalité, la Cour constitutionnelle a estimé que la mesure était appropriée. Elle a en effet jugé que l’indication de l’adresse de résidence garantissait les échanges de correspondance. Elle a en outre rejeté la suggestion d’utiliser une adresse professionnelle, considérée comme moins intrusive, car personne n’est tenu d’être joignable sur son lieu de travail, ainsi que la possibilité de laisser à un tribunal civil la possibilité de déterminer lui-même quelle était la juridiction compétente, un tribunal civil ne pouvant engager de procédure de sa propre initiative.

Deuxièmement, la Cour constitutionnelle a examiné si l’avantage que retirait la société de cette restriction des droits fondamentaux d’une personne était supérieur au préjudice qu’elle subissait. En l’espèce, elle a estimé que si les informations relatives au lieu de résidence déclaré du défendeur n’étaient pas communiquées, le requérant se voyait refuser la possibilité d’exercer son droit à un procès équitable. La restriction des droits fondamentaux a donc été déclarée proportionnée et conforme à la Constitution.


Affaire: 2017-23-01 du 15.06.2018

Mots-clés : Pourvoi en cassation, affaire pénale, rejet, motivation / Collégialité.

Sommaire (points de droit) :

La procédure pénale en cassation n’est conforme au droit à un procès équitable que si elle est menée dans le souci de respecter le principe de collégialité et si la décision d’irrecevabilité du pourvoi en cassation est motivée comme il convient.

Le principe de collégialité renforce l’impartialité d’une juridiction et permet aux juges de mener un dialogue sur l’application uniforme de la loi et l’élaboration de normes juridiques, ce qui améliore la confiance du grand public dans la bonne application de la législation. Dans la procédure pénale, le déclenchement de la procédure en cassation est décidé par un juge unique. Cela va à l’encontre du droit à un procès équitable.

L’indication de la motivation dans une décision permet aux parties à la procédure de vérifier qu’elles ont été entendues et que les arguments présentés ont été dûment pris en considération. Cela est particulièrement important en matière pénale. C’est la motivation de la décision qui permet au prévenu de comprendre qu’il a été reconnu coupable d’une infraction pénale au cours d’une procédure équitable. En conséquence, le droit à un procès équitable entraîne l’obligation d’indiquer les motifs sur lesquels s’appuie la décision de rejet des arguments juridiques présentés dans le pourvoi en cassation. La motivation devant figurer dans la décision de justice peut être plus ou moins détaillée, mais elle doit suffire pour permettre à la personne intéressée de comprendre pourquoi la procédure de cassation n’a pas été entamée malgré les arguments présentés dans le pourvoi en cassation.

Résumé :

I. L’affaire a été entamée à la suite d’une requête constitutionnelle déposée par un particulier. Celui-ci estimait que la procédure déterminée à l’article 573.2 et 573.3 de la loi sur la procédure pénale pour ce qui est d’autoriser le pourvoi en cassation dans une affaire pénale, violait le droit à un procès équitable consacré par la première phrase de l’article 92 de la Constitution. Le fait que la décision de refuser d’entamer la procédure soit adoptée par un juge unique et qu’elle ne comporte pas de motivation est incompatible avec le droit à un procès équitable.

II. La Cour a commencé par reconnaître que la collégialité est l’un des principes qui garantissent l’objectivité d’un tribunal et que la requête relève donc du droit à un procès équitable. Pour assurer le respect du principe d’objectivité, il convient d’appliquer le principe de collégialité dès le début de la procédure de cassation, lorsque le tribunal se prononce sur la recevabilité du pourvoi.

La Cour a également expliqué que le principe de primauté du droit dans un État démocratique ne peut être défendu que si la motivation du tribunal concernant les considérations indiquées dans le pourvoi en cassation est communiquée au requérant. Elle a souligné que la motivation concernant le refus d’engager la procédure de pourvoi en matière pénale devait être suffisante pour que l’intéressé comprenne pourquoi le recours en cassation a été refusé, une fois que les arguments présentés dans le pourvoi ont été examinés. Étant donné l’importance du pourvoi en cassation en matière pénale dans un État démocratique régi par la prééminence du droit et le rôle très particulier joué par la Cour de cassation pour assurer l’unité et le développement du système juridique tout en garantissant les droits de l’homme, la norme contestée n’offrait pas de garanties suffisantes pour l’exercice du droit à un procès équitable.


Affaire: 2017-25-01 du 29.06.2018

Mots-clés : Élection, candidat, exclusion / Commission électorale centrale / Démocratie, menace.

Sommaire (points de droit) :

La restauration de l’indépendance en 1990 a permis de rétablir l’effet juridique des principales dispositions de la Constitution de la République de Lettonie.

La disposition attaquée vise à protéger la démocratie, la sécurité nationale et l’unité territoriale. Elle concerne les personnes qui ont tenté, par leurs activités, de saper l’État démocratique, mais la disposition attaquée n’a pas le caractère d’une sanction.

La disposition attaquée doit être appréciée dans le temps. La Cour doit rechercher si les circonstances justifiant son adoption restent pertinentes, en analysant la manière dont les circonstances devant être prises en considération pour son interprétation ont pu évoluer.

La Cour a interprété la disposition attaquée en s’appuyant sur l’objectif légitime de cette disposition en 2018, et sur le développement de la démocratie en Lettonie. Dans ce pays, le processus de transition d’un régime totalitaire et d’occupation n’est pas encore arrivé à son terme.

La disposition attaquée est un instrument de défense de la démocratie contre des personnes qui, par leurs activités, sapent l’indépendance de la Lettonie et les principes de l’État démocratique.

Dans un pays dans lequel les traditions démocratiques ne sont pas encore solidement ancrées, il peut être nécessaire d’empêcher des personnes telles que le requérant de mener leurs activités à l’encontre de l’indépendance de la Lettonie et des principes de l’État démocratique, même si lesdites activités ne constituent pas des infractions pénales.

À la lumière des circonstances historiques de la mise en place de la démocratie en Lettonie et de la situation actuelle, les restrictions prévues par la disposition litigieuse doivent être maintenues, mais la nécessité de leur maintien doit être réexaminée périodiquement.

La disposition attaquée n’est pas dirigée contre le pluralisme des opinions ou contre les opinions politiques d’une personne en particulier. Elle vise plutôt à contrer des activités qui continuent de représenter une menace pour l’indépendance de la Lettonie et les principes démocratiques. Il convient de relever que la disposition attaquée s’oppose à la participation active des personnes aux activités de certains partis politiques ou de certaines organisations publiques.

Résumé :

Dans cette affaire, le requérant contestait une disposition juridique qui privait les personnes ayant été actives au sein du parti communiste de l’Union soviétique (Lettonie) ou d’organes similaires après le 13 janvier 1991, du droit de se porter candidates aux élections législatives. Il avait saisi la commission électorale centrale (ci-après, « CEC ») d’une demande visant à déterminer si sa candidature aux élections était autorisée, et ladite commission avait jugé qu’elle ne l’était pas.

Dans deux affaires antérieures, la Cour avait précédemment indiqué que les organismes mentionnés dans la disposition attaquée avaient pour objectif de saper l’ordre public établi.

La Cour a jugé que la disposition attaquée limitait le droit des personnes d’être élues. Elle a ensuite apprécié si cette restriction pouvait être justifiée, plus précisément si elle était établie par la loi, si elle visait un objectif légitime et si elle était proportionnée.

Ayant observé que la restriction litigieuse était établie par la loi, la Cour a jugé qu’elle était conforme aux objectifs généraux de la Convention européenne des Droits de l’Homme, à savoir l’indépendance de l’État, la démocratie et la sécurité nationale.

En ce qui concerne la proportionnalité, la Cour a fait observer que l’État jouissait d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’organisation des élections. Il pouvait donc refuser d’envisager une approche moins restrictive, consistant par exemple à rendre publiques dans un document officiel les activités des personnes concernées au sein de l’une des organisations interdites après le 13 janvier 1991.

La Cour a jugé que la restriction litigieuse était appropriée. Bien que la Lettonie soit membre de l’Union européenne, de l’OTAN, du Conseil de l’Europe et de l’OCDE, cela ne permet pas d’écarter les menaces potentielles dont elle pourrait faire l’objet. Dans le cadre de l’appréciation de la nécessité de cette mesure limitant les droits fondamentaux, la Cour a tenu compte du fait que la démocratie lettonne n’était pas considérée comme une évidence.

Même si la fréquence du réexamen des restrictions au droit d’une personne d’être candidate aux élections ne résulte pas de la Convention ou de la Constitution, il est critiquable que le Parlement n’ait pas réexaminé cette restriction depuis 2010. La Cour est compétente pour apprécier l’existence de motifs raisonnables justifiant la limitation des droits fondamentaux. Dans le contexte du développement démocratique en Lettonie, la Cour a souligné l’existence de menaces externes et internes qui constituent des facteurs importants justifiant le maintien des dispositions litigieuses.

La Cour a formulé deux réserves d’interprétation en ce qui concerne la CEC et le législateur respectivement. La CEC doit non seulement vérifier si la participation active d’une personne dans les organisations mentionnées dans la disposition attaquée a été établie par une décision juridictionnelle, mais également si lesdites activités représentent une menace pour l’indépendance de la Lettonie et les principes de l’État démocratique. Sa décision doit être susceptible de recours juridictionnel.

Le législateur doit pour sa part réexaminer la restriction et modifier la loi relative aux élections législatives à tout moment s’il est établi que la situation politique a changé et que les menaces liées à la politique étrangère ont diminué.

Enfin, la Cour s’est demandée si les dispositions attaquées créaient des différences de traitement. Elle a noté que les personnes concernées par la disposition attaquée étaient placées dans une situation différente qui ne pouvait être comparée à celle des personnes qui ne sont pas concernées par cette disposition. La Cour a donc jugé que la disposition litigieuse n’était pas discriminatoire.


2017

Affaire: 2017-03-01 du 21.12.2017

Mots-clés : Enseignement, liberté / Éducation, personnel enseignant, recrutement.

Sommaire (points de droit) :

Les dispositions prévoyant l’interdiction de recruter des enseignants qui ne satisfont pas la condition de loyauté ont une importance fondamentale pour l’ordre constitutionnel et le système éducatif. En effet, la conduite et les déclarations des enseignants ont une incidence profonde sur leurs élèves, à l’école comme à l’extérieur. Les dispositions en la matière ne restreignent pas de manière disproportionnée le droit à la liberté d’expression.

Résumé :

I. Dans cette affaire, les requérants, vingt députés, alléguaient que l’interdiction de recruter des enseignants qui ne satisfont pas la condition de loyauté et la procédure d’appréciation du respect de cette exigence limitaient de manière disproportionnée le droit à la liberté d’expression. Ils soulignaient que les dispositions énonçant ces règles non seulement exigeaient que les actions et les opinions exprimées par les enseignants soient loyales vis-à-vis de l’État et de la Constitution, mais limitaient également leurs convictions personnelles. Ils alléguaient que cela portait atteinte au droit au respect de la vie privée.

II. Les échanges entre les enseignants et les élèves sont essentiellement régis par le programme scolaire. Cependant, l’exemple donné par l’enseignant joue un rôle important dans le processus éducatif. Un élève peut être influencé par la conduite de l’enseignant ou du responsable de l’établissement éducatif, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement. Par exemple, les élèves, leurs parents, leurs amis, les membres de leur famille ou des tiers peuvent s’intéresser aux activités de l’enseignant en dehors de ces heures de travail sur les réseaux sociaux ou par d’autres moyens. Les enseignants ont une influence considérable sur leurs élèves, non seulement dans le cadre éducatif mais également dans leurs échanges au quotidien.

L’importance sociétale de la profession d’enseignant ne résulte pas uniquement de l’enseignement et de l’éducation, mais également de son influence sur les perceptions qu’ont les élèves de la société, de l’État et de ses valeurs.

L’exigence de loyauté est ce qu’il est convenu d’appeler une notion juridique ouverte. La loi peut prévoir de telles notions générales, si les objectifs, la portée et les conséquences juridiques des dispositions sont claires et précis. Les autorités chargées d’appliquer des dispositions générales doivent rechercher si les circonstances de l’espèce sont pertinentes au regard des dispositions générales en cause.

L’État doit veiller à ce que l’administration respecte le principe de l’État de droit et soit démocratique, efficace, ouverte et accessible au public. La population doit être assurée de la loyauté des fonctionnaires à l’égard de l’État, car ils exercent leurs obligations professionnelles dans l’intérêt supérieur de l’État et de la société. La loyauté politique ne doit pas être interprétée comme un soutien aux objectifs politiques visés par le gouvernement, mais plutôt comme une confiance en l’État. L’exigence de loyauté s’applique de manière égale à tous les fonctionnaires de l’État. Le statut des fonctionnaires se caractérise par un rapport de confiance et de loyauté envers l’État, qui entraîne des restrictions en ce qui concerne l’accès au statut de fonctionnaire. Ces restrictions ne doivent pas être disproportionnées au regard du principe d’égalité.

La loyauté doit également être interprétée comme entraînant la nécessité de se désolidariser clairement des groupes opposés à l’existence de l’État et qui cautionnent des actes de diffamation de l’État et de l’ordre constitutionnel. Un État démocratique peut imposer une obligation de loyauté envers des principes constitutionnels sur lesquels il est fondé. Cette exigence ne peut pas être considérée comme une sanction portant atteinte à la liberté d’expression.

La Lettonie, en tant qu’État démocratique et compte tenu de son expérience historique en matière de mise en place d’une société ouverte, tolérante et civile, doit veiller à ce que les valeurs démocratiques soient défendues et renforcées dans le cadre du système éducatif.

L’exigence de loyauté ne limite pas le droit d’une personne de participer à des activités sociales, et par conséquent également à des activités civiques et politiques. Toute personne peut exercer sa liberté d’expression conformément à la Constitution et à l’éthique de l’éducation. Cela permet de faire des analyses critiques du système politique et social, ou des actions de fonctionnaires de l’État ou du gouvernement. L’exigence de loyauté ne prive pas les enseignants de la possibilité d’organiser leur enseignement d’une manière permettant de promouvoir l’esprit critique et de renforcer la capacité des élèves d’exprimer, de comprendre et d’analyser des opinions différentes. Cependant, les opinions exprimées et les actions menées ne doivent pas remettre en cause leur loyauté envers l’État et les principes constitutionnels.

La Cour a admis que les dispositions litigieuses limitaient la liberté d’expression (article 100 de la Constitution) et le droit de choisir une profession (article 106) des enseignants et des responsables des établissements éducatifs. Mais elle a rejeté l’allégation selon laquelle les dispositions litigieuses limitaient également la liberté de conscience et de conviction, lorsque les pensées et croyances ne sont pas exprimées.

La Cour a noté que la liberté de choisir une profession comprenait le droit de conserver son emploi et le droit de continuer de l’exercer à l’avenir. Ces droits ne pourraient pas être exercés si l’exigence de loyauté n’était pas respectée. La Cour a donc jugé que les dispositions attaquées limitaient la liberté professionnelle des personnes concernées.

Les requérants faisaient valoir que les dispositions attaquées étaient entachées d’un vice de procédure. Les modifications litigieuses de la loi sur l’éducation avaient été adoptées dans le cadre des lois sur le budget or, selon les requérants, le contenu de la loi n’avait pas de rapport avec le budget de l’État. La Cour a cependant rejeté cet argument au motif que, dès lors que l’exécution de la loi exigeait un financement, il n’était pas nécessaire de dissocier son adoption de celle des dispositions sur le budget.

Enfin, la Cour a rejeté les arguments selon lesquels les restrictions adoptées étaient disproportionnées. La Cour a souligné l’importance fondamentale des exigences de loyauté pour l’ordre constitutionnel et le système éducatif. Les dispositions attaquées ont donc été maintenues en totalité.


Affaire: 2017-07-01 du 24.11.2017

Mots-clés : Fonctionnaire, casier judiciaire, effacement / Enseignant, emploi, procédure.

Sommaire (points de droit) :

Le législateur peut fixer des conditions strictes d’exercice de la profession d’enseignant, ce qui est dans l’intérêt de la société et permet la réalisation du droit à l’éducation. Cependant, lorsqu’il adopte une disposition interdisant totalement aux personnes condamnées au titre d’une infraction grave et intentionnelle d’exercer la profession d’enseignant, le législateur doit apprécier si une telle mesure est proportionnée et si d’autres mesures moins contraignantes auraient permis d’atteindre l’objectif visé.

Résumé :

Dans cette affaire, le requérant avait exercé la profession d’enseignant depuis 1998. Auparavant, en 1994, il avait été condamné au titre d’une infraction grave et intentionnelle. En application de la disposition attaquée, il avait été licencié par l’établissement d’enseignement où il travaillait. Il a invoqué une violation de ses droits résultant de l’article 106 de la Constitution (droit de choisir une profession) et a allégué en outre que la restriction prévue par cette disposition était disproportionnée.

La procédure devant la Cour constitutionnelle repose sur le principe de la procédure inquisitoire. Suite à l’introduction du recours, la Cour ne s’appuie pas uniquement sur les arguments et les éléments de preuve fournis par les parties, mais recherche des preuves complémentaires.

L’interdiction d’exercer la profession d’enseignant résultant de la loi sur l’éducation affecte les personnes condamnées au titre d’une infraction grave et intentionnelle. L’interdiction s’applique à perpétuité, c’est-à-dire qu’elle reste en vigueur pour une durée indéterminée, y compris en cas d’annulation ou d’effacement de la mention au casier judiciaire. Il convient donc de considérer qu’il s’agit d’une restriction absolue et inconditionnelle.

Le législateur a le pouvoir discrétionnaire de soumettre l’exercice d’une activité professionnelle à certaines exigences, si cela est dans l’intérêt général.

La profession d’enseignant doit être considérée comme étant dans l’intérêt de la société, de même que le droit à l’éducation inscrit à l’article 112 de la Constitution. Un enseignant doit non seulement transmettre une éducation de qualité et un savoir, il façonne également le comportement et les valeurs des élèves. Le législateur a le pouvoir de fixer des conditions strictes applicables aux enseignants, non seulement en ce qui concerne leurs qualifications professionnelles et leurs compétences, mais également en ce qui concerne leur personnalité et leurs antécédents. Lorsqu’il fixe de tels critères, le législateur limite le droit inscrit à l’article 106 de la Constitution (droit de choisir une profession).

Plusieurs lois limitent de manière absolue le droit d’exercer certaines professions de personnes condamnées au titre d’une infraction. Par exemple, une personne condamnée ne peut pas devenir juge, procureur ou membre des forces de police, y compris après l’effacement de la mention au casier judiciaire.

Les obligations internationales qui s’imposent à la Lettonie en matière de droits de l’homme doivent être prises en considération dans le cadre de l’appréciation de la conformité de cette restriction absolue avec la Constitution. Il résulte d’une jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme qu’une interdiction n’est considérée comme proportionnée que si le législateur a établi la nécessité d’une restriction absolue, a apprécié ses caractéristiques essentielles et les conséquences juridiques résultant de son application, et a montré que le même objectif légitime ne pouvait pas être atteint de manière suffisante si des dérogations étaient prévues. Dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de la restriction, la Cour doit rechercher si le législateur a procédé à ces vérifications.

En vertu du droit pénal, un casier judiciaire dont les mentions ont été effacées ne peut pas être pris en considération. Cependant, dans d’autres contextes juridiques, le fait qu’une mention au casier judiciaire ait été annulée ou effacée ne signifie pas que ses effets négatifs cessent également. Une disposition d’une loi spéciale peut prévoir que la restriction continue de s’appliquer après l’annulation ou l’effacement de la mention au casier judiciaire.

L’existence d’une mention au « casier judiciaire » a également des conséquences juridiques de nature différente. Ces conséquences peuvent prendre la forme d’une limitation du droit d’exercer une certaine profession, et cette limitation peut se poursuivre, y compris après l’annulation ou effacement de la mention au casier judiciaire.

L’appréciation au cas par cas de la question de savoir si l’intéressé peut être autorisé à exercer la profession d’enseignant ne garantit absolument pas que la personne puisse effectivement être autorisée à exercer une profession donnée. Ce n’est que si la commission créée par l’autorité administrative responsable de la qualité de l’enseignement conclut que l’exercice de cette profession par la personne concernée ne portera pas atteinte à l’intérêt des élèves, que ladite autorité peut délivrer l’autorisation d’exercer la profession d’enseignant.

En l’espèce, la Cour a commencé par constater que l’interdiction résultait de la loi et était absolue. La Cour a jugé que l’interdiction absolue faite aux personnes condamnées au titre d’une infraction grave et intentionnelle d’exercer la profession d’enseignant était une mesure appropriée permettant d’atteindre un objectif légitime (garantir la sécurité et la fiabilité de l’éducation).

Cependant, la Cour a également fait observer que le projet de la loi prévoyant les dispositions attaquées ne permettait pas de confirmer que le législateur avait recherché si, dans tous les cas, une interdiction absolue était véritablement nécessaire.

La Cour a en outre noté que, dans le cadre de la mise en place d’une interdiction absolue et définitive sans possibilité de révision, le législateur aurait dû vérifier la proportionnalité des conséquences juridique d’une telle interdiction.

La Cour a considéré qu’il existait d’autres mesures moins restrictives qui porteraient une atteinte moindre aux droits fondamentaux. Elle a donc jugé que la restriction résultant de la disposition attaquée violait le principe de proportionnalité et était par conséquent contraire à la Constitution.


Affaire: 2016-14-01 du 19.10.2017

Mots-clés : Solidarité, principe / Société, bien commun / Protection sociale, nationale.

Sommaire (points de droit) :

Le préambule de la Constitution prévoit que les personnes ne doivent pas uniquement veiller sur eux-mêmes et sur les membres de leur famille, mais doivent également veiller au bien commun, en créant un lien de solidarité mutuelle entre les personnes et au sein de la société dans son ensemble. L’obligation de l’État d’appliquer une politique fiscale juste, efficace et prévisible, afin de garantir la protection sociale au sein de la société dans son ensemble est une conséquence du principe de la responsabilité sociale de l’État.

Les impôts apportent au budget de l’État des recettes qui permettent de financer des mesures essentielles pour la société dans son ensemble. L’obligation de s’acquitter de l’impôt est l’expression du principe de solidarité. Les législateurs, lorsqu’ils adoptent une politique fiscale, doivent créer un mécanisme permettant de compenser les différences sociales et économiques. Ce mécanisme doit être juste, doit reposer sur des critères clairement établis, et doit être axé sur le développement durable de l’État.

En vertu de la Constitution, les décisions relatives aux questions sociales importantes doivent être adoptées conformément au principe d’un État démocratique régi par le principe de l’État de droit. Le parlement, dans le cadre de l’exercice de son droit de légiférer et d’adopter le budget de l’État, jouit d’un pouvoir d’appréciation, même s’il doit respecter les principes généraux du droit et les dispositions constitutionnelles.

Les nouvelles dispositions fiscales attaquées distinguent deux groupes de personnes traitées de manière différente (les personnes assujetties et non assujetties à l’impôt). Mais le fait que les nouvelles dispositions fiscales prévoient un traitement différent entre deux catégories de personnes ne viole pas nécessairement le principe d’égalité. Les personnes assujetties et non assujetties à l’impôt de solidarité ne sont pas placées dans une situation comparable.

Lorsqu’il crée un nouvel impôt, l’État doit veiller au respect du principe d’égalité et des autres principes de politique fiscale résultant de la Constitution. Les droits d’une personne doivent être pondérés et mis en balance avec la nécessité d’assurer le bien commun.

Toutes les personnes assujetties à l’impôt de solidarité sont placées dans une situation comparable et doivent être traitées de manière égale. Le législateur peut prévoir le traitement différent d’un certain groupe de personnes assujetties à l’impôt de solidarité, uniquement si cette différence de traitement est justifiée par un objectif légitime. Dans la présente affaire, l’objectif légitime résulterait d’un ensemble de considérations justifiant l’application de différents taux d’imposition.

Le nombre restreint de personnes assujetties à l’impôt de solidarité ne peut pas justifier une différence de traitement et des critères sans rapport avec l’objectif poursuivi par l’impôt ne peuvent pas justifier la fixation d’un taux d’imposition différent. Le montant des recettes résultant de l’impôt de solidarité ne peut pas être considéré comme un objectif légitime justifiant la différence de traitement, par exemple l’atteinte aux droits fondamentaux.

Résumé :

I. Les requérants dans cette affaire, 37 personnes physiques, étaient tous des salariés assujettis à l’impôt de solidarité créé peu de temps auparavant. Ils faisaient valoir que cet impôt était similaire aux cotisations obligatoires de sécurité sociale, et que même si la sécurité sociale et l’impôt de solidarité étaient régis par des dispositions légales différentes, les dispositions en cause partageaient la même structure et avaient le même objet, à savoir le financement des besoins de la sécurité sociale.

Les requérants faisaient valoir qu’ils ne pouvaient pas percevoir des prestations de sécurité sociale proportionnelles aux cotisations de sécurité sociale versées, à la différence des salariés non assujettis à l’impôt de solidarité. Selon eux, cela rendait les dispositions attaquées contraires à l’article 109 de la Constitution (concernant le droit à la sécurité sociale). Les requérants soulignaient en outre que la loi sur l’impôt de solidarité distinguait plusieurs groupes de personnes parmi les assujettis et leur appliquait un traitement différent. Cette différence de traitement était selon eux incompatible avec le principe d’égalité inscrit dans l’article 91 de la Constitution (égalité devant la loi).

II. La Cour a rejeté les allégations tirées de la violation de l’article 109 de la Constitution, considérant que les cotisations de sécurité sociale ne pouvaient pas être comparées au paiement de l’impôt de solidarité.

En ce qui concerne l’article 91 de la Constitution, la Cour a rejeté les allégations concernant l’inégalité de traitement entre les personnes assujetties à l’impôt de solidarité et les personnes non assujetties, au motif que ces deux groupes de personnes n’étaient pas placés dans une situation comparable. La Cour a cependant admis qu’il existait une différence de traitement injustifiée entre les différents groupes de « personnes assujetties à l’impôt de solidarité ». La Cour a considéré que le législateur n’avait pas fixé de critère valable permettant de justifier cette différence de traitement. La Cour a donc conclu qu’il existait une violation injustifiée du droit des requérants à l’égalité devant la loi, et a accordé au législateur un délai expirant le 1er janvier 2019 pour mettre les dispositions litigieuses en conformité avec la Constitution.


2016

Affaire: 2015-25-01 du 15.11.2016

Mots-clés : Impôt, collecte, exécution ; Société, conseil d’administration, membres, responsabilité.

Sommaire (points de droit) :

Des dispositions prévoyant une procédure de remboursement de pénalités appliquées à une personne morale pour paiement tardif de l’impôt, par une personne qui était membre de son conseil d’administration au cours de la période au titre de laquelle les pénalités de retard sont dues, ne sont pas contraires au principe d’égalité ou à la présomption d’innocence et sont conformes à la Constitution.

Résumé :

I. Cette affaire concerne certaines dispositions créant une procédure de remboursement de pénalités appliquées à une personne morale pour paiement tardif de l’impôt, par une personne qui était membre de son conseil d’administration au cours de la période au titre de laquelle les pénalités de retard sont dues.

Dans cette affaire, vingt députés du Parlement avaient saisi la Cour constitutionnelle d’un recours, faisant valoir que les dispositions précitées limitaient le droit de propriété des membres du conseil d’administration et introduisaient une présomption de culpabilité des membres du conseil d’administration en cas de paiement tardif de l’impôt. Il était allégué que le principe de la présomption d’innocence faisait l’objet de restrictions disproportionnées, et que les dispositions attaquées violaient le principe d’égalité, en raison du traitement réservé à deux groupes de personnes placées dans des situations différentes, à savoir les fondateurs d’une société de capitaux qui sont parallèlement membres de son conseil d’administration, et les fondateurs de sociétés de personnes.

II. La Cour a considéré que les dispositions litigieuses renforçaient l’efficacité de la collecte de l’impôt et amélioraient l’environnement commercial, et qu’elles profitaient largement au public. L’atteinte portée au droit de propriété a donc été jugée proportionnée.

La Cour a observé que la présomption d’innocence n’était pas un principe absolu. Dans certains cas, le législateur peut prévoir ce qu’il est convenu d’appeler une « présomption légale », c’est-à-dire une présomption réfutable en vertu de laquelle certaines circonstances permettent de retenir la culpabilité ou la responsabilité d’une personne. La Cour a jugé que la présomption légale résultant des dispositions litigieuses était conforme au principe de proportionnalité. Un membre du conseil d’administration qui se voit appliquer cette présomption peut rapporter la preuve du fait qu’il n’est pas responsable du paiement tardif de l’impôt de la personne morale et qu’il a agi de manière honnête et prudente.

La Cour a jugé que le conseil d’administration d’une société, au même titre que les associés d’une société de personnes, devait agir de manière responsable et de bonne foi, et veiller à ce que la société exerce ses activités commerciales conformément à la loi. La responsabilité personnelle des membres du conseil d’administration des sociétés de capitaux peut être assimilée à la responsabilité des associés des sociétés de personnes. Les dispositions attaquées ont donc été jugées conformes au principe d’égalité.


Affaire 2015-14-0103 du 12.05.2016

Mots-clés : Profil génétique, établissement, stockage, utilisation.

Sommaire (points de droit):

Le prélèvement de matière biologique sur des suspects et le stockage de leur profil génétique dans la base de données génétiques nationale ne viole pas le droit au respect de la vie privée, dans la mesure où la personne concernée n’est pas innocentée.

Résumé:

I. La loi relative à la base de données génétiques prévoit le prélèvement de matière biologique sur toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Le profil génétique doit être enregistré dans la base de données génétiques nationale et stocké pendant 10 ans.

Le requérant dans cette affaire, soupçonné d’avoir commis une infraction pénale, alléguait que cette loi violait son droit au respect de la vie privée. Le Parlement soulignait cependant l’importance des profils génétiques dans la prévention et l’investigation des infractions pénales, de nombreuses affaires pénales étant élucidées grâce à l’utilisation de ces données.

II. La Cour constitutionnelle a jugé que la détermination du profil génétique constituait une méthode unique d’identification des personnes et que, dans certains cas, il pouvait s’agir de la seule mesure efficace d’identification. En outre, la base de données génétiques nationale, dans laquelle de nombreux profils génétiques sont enregistrés, non seulement permet des enquêtes plus efficaces concernant certaines infractions, mais réduit également la criminalité. Elle peut permettre d’élucider des affaires jusque-là non élucidées et joue un rôle dans la prévention de la criminalité. La détermination du profil génétique des suspects au stade de l’enquête constitue une mesure appropriée permettant de veiller à la sécurité publique et à la protection des droits de l’homme.

Mais la conservation du profil génétique n’est pas appropriée si la procédure pénale est clôturée globalement ou en ce qui concerne une personne en particulier, au motif qu’elle est innocentée, si la décision de mise en examen a été annulée ou si un jugement de relaxe ou d’acquittement a été rendu. Le statut de l’intéressé dans le cadre de la procédure pénale est le seul motif justifiant le stockage de son profil génétique.

Deux juges de la Cour constitutionnelle ont exprimé une opinion dissidente, en raison de leur désaccord concernant certaines questions de procédure. En outre, un juge a estimé que la Cour n’avait pas correctement apprécié la proportionnalité de la mesure de prélèvement de matière biologique sur les suspects.


Affaire : 2015-19-01 du 29-04-2016

Intitulé : Conformité de la première, de la troisième et de la cinquième partie de l’article 657 du Code de procédure pénale avec la première phrase de l’article 92 de la Constitution

Mots-clés : Garanties de procédure, droits de la défense et procès équitable – Champ d’application – Procédure pénale – Garanties de procédure, droits de la défense et procès équitable – Impartialité

Sommaire (point de droit):

La réouverture d’une procédure pénale en cas de découverte de faits nouveaux a pour but d’assurer un équilibre entre deux éléments du droit à un procès équitable – l’autorité de la chose jugée et un jugement équitable.

Résumé:

I. En vertu des dispositions contestées, un procureur a le droit de rouvrir une procédure pénale en cas de découverte de faits nouveaux. Une demande en ce sens doit être examinée par un procureur du ressort de la juridiction devant laquelle s’était déroulée la procédure pénale initiale. Si un procureur refuse de rouvrir la procédure pénale, le requérant peut faire appel de sa décision auprès d’un procureur de rang supérieur. La décision de ce dernier n’est pas susceptible de recours.

Les requérants avaient introduit une requête visant à la réouverture d’une procédure pénale en raison de la découverte de faits nouveaux. Le procureur avait décidé de rejeter cette requête. Les requérants avaient alors fait appel de cette décision auprès d’un procureur de rang supérieur qui avait également refusé de rouvrir la procédure pénale.

Les requérants faisaient valoir que les dispositions contestées restreignaient leur droit à un procès équitable sans aucun motif; en effet, la requête concernant les faits nouveaux avait été examinée là où la procédure pénale s’était déroulée initialement, et il n’existait aucun droit de recours judiciaire contre la décision du procureur.

II. La Cour constitutionnelle a reconnu que les dispositions contestées pouvaient être à l’origine d’une situation dans laquelle une requête concernant des faits nouveaux était examinée par un procureur qui était celui-là même qui avait mené des activités d’enquête, supervisé l’enquête et les poursuites pénales ou dressé l’acte d’accusation. La Cour a souligné que le procureur qui avait dressé l’acte d’accusation dans une affaire n’avait pas le droit de rendre la décision finale concernant la question de savoir si des faits nouveaux avaient été découverts en l’espèce.

Si un procureur a précédemment mené des activités d’enquête ou dressé l’acte d’accusation dans le cadre d’une procédure pénale, il a déjà fourni une évaluation et exprimé un avis quant à la validité des faits reprochés. En conséquence, il y a tout lieu de penser qu’il ne changera pas d’avis quand il examinera une requête concernant des faits nouveaux ou une plainte concernant une décision de refus de réouverture d’une procédure. Autrement dit, les dispositions contestées ne lèvent pas complètement les doutes quant à la neutralité des procureurs qui se prononcent sur la réouverture d’une procédure pénale à la lumière de faits nouveaux. La Cour a jugé les dispositions contestées incompatibles avec la Constitution.

III. Deux juges de la Cour constitutionnelle ont exprimé une opinion dissidente; selon eux, les questions relatives à la réouverture d’une procédure pénale ne devraient être tranchées que par les tribunaux.


Affaire : 2015-11-03 du 02-03-2016

Intitulé : Conformité des paragraphes 19 et 20 du règlement n° 141 de la Banque de Lettonie en date du 15 septembre 2014 relatif aux «Obligations concernant la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme en matière d’achat et de vente de devises étrangères» avec les articles 1 et 64 ainsi qu’avec la première phrase de l’article 91 de la Constitution

Mots-clés : Blanchiment de capitaux, signalement, obligation – Banque centrale – Exécution des lois – Compétence normative déléguée – Excès de pouvoir («ultra vires») – Droits fondamentaux – Égalité

Sommaire (point de droit):

La loi prévoit une réglementation exhaustive concernant les cas dans lesquels les établissements de crédit et les sociétés de capitaux qui se livrent à l’achat et à la vente de devises étrangères doivent identifier leurs clients. En adoptant les dispositions contestées, la Banque de Lettonie avait outrepassé l’habilitation que lui avait accordée le législateur.

Résumé:

I. La requérante en l’espèce était une société de capitaux qui, dans le cadre de ses activités commerciales, se livrait aussi à l’achat et à la vente de devises étrangères. Ce service n’est fourni que par les sociétés de capitaux qui ont obtenu une licence auprès de la Banque de Lettonie, ainsi que par les établissements de crédit. Les conditions fixées par la loi s’appliquent à ces deux catégories.

La requérante faisait observer que, préalablement à l’adoption des dispositions contestées, des actes normatifs prévoyaient que les sociétés de capitaux qui effectuaient des transactions sur les marchés des capitaux et les établissements de crédit devaient identifier le client pour chaque transaction d’un montant de 8 000 euros ou plus. Or, les dispositions contestées ne s’appliquaient qu’aux sociétés de capitaux qui effectuaient des transactions sur les marchés des capitaux. Elles ne s’appliquaient pas aux établissements de crédit qui fournissaient un service identique. La requérante alléguait que cette situation était incompatible avec le principe d’égalité et que l’adoption des dispositions contestées constituait une violation de l’habilitation accordée par le législateur.

II. La Cour constitutionnelle a fait observer que l’adoption des lois relevait de la compétence du législateur. Néanmoins, pour rendre la procédure législative plus efficace, des entités de droit public peuvent, dans certains cas, adopter des actes normatifs externes. La Banque de Lettonie ne peut en adopter que conformément à l’habilitation accordée par le parlement dans le domaine de compétence prévu par la loi.

La Cour constitutionnelle a jugé que la Banque de Lettonie n’était pas habilitée à édicter une réglementation relative à des questions déjà résolues par le législateur lui-même. La loi prévoit une réglementation exhaustive dans les cas où les établissements de crédit et les sociétés de capitaux qui effectuent des transactions sur les marchés des capitaux doivent identifier leurs clients. Or, la Banque de Lettonie avait adopté des dispositions établissant de nouveaux cas dans lesquels les clients doivent être identifiés. Ce faisant, elle avait outrepassé l’habilitation accordée par le législateur.

La Cour constitutionnelle a jugé que le traitement différentiel établi par les dispositions contestées n’était pas prévu par la loi. La Banque n’avait pas respecté le principe de la séparation des pouvoirs et elle avait outrepassé l’habilitation que lui avait accordée le législateur. Les dispositions contestées étaient incompatibles avec la Constitution; la Cour les a déclarées nulles à partir du moment où elles avaient été adoptées.

III. L’un des juges de la Cour constitutionnelle a exprimé une opinion dissidente, faisant valoir que les dispositions contestées auraient dû être déclarées nulles à un moment situé dans l’avenir.


Affaire : 2015-13-03 du 12-02-2016

Intitulé : Conformité de la première phrase du paragraphe 24 de l’arrêté municipal de la ville de Riga n° 211 en date du 19 février 2013 «relatif à la redevance municipale pour l’entretien et le développement des infrastructures de la commune de Riga» avec l’article 105 de la Constitution

Mots-clés : Municipalités – Compétence normative déléguée – Excès de pouvoir («ultra vires») – Fiscalité – Droit de propriété

Sommaire (point de droit):

Il est inadmissible d’appliquer par analogie une restriction des droits fondamentaux.

Résumé:

I. Le conseil municipal de Riga avait adopté un arrêté en vertu duquel, si un permis de construire était annulé, aucune redevance qui aurait pu être versée pour l’entretien et le développement des infrastructures municipales sur le territoire administratif de Riga ne serait remboursée; elle viendrait en déduction de la redevance à payer lorsqu’un autre permis de construire serait obtenu pour un nouveau projet de construction au même endroit.

Un entrepreneur avait obtenu un permis de construire et payé la redevance relative aux infrastructures. N’ayant pas commencé la construction, il avait demandé au conseil municipal de Riga d’annuler le permis de construire qui lui avait été délivré. Conformément à l’arrêté contesté, la redevance relative aux infrastructures ne lui avait pas été remboursée. Il avait alors saisi le tribunal administratif.

Le tribunal administratif avait reconnu que l’arrêté restreignait le droit de propriété des personnes qui avaient payé la redevance relative aux infrastructures et n’avaient pas commencé à construire.

II. La Cour constitutionnelle a fait observer qu’une collectivité locale avait le droit d’édicter une réglementation contraignante uniquement dans les cas prévus par la loi et dans les limites de son habilitation. Une réglementation contraignante édictée par une collectivité locale ne saurait être incompatible avec les dispositions de la Constitution et les autres normes juridiques ayant une autorité supérieure.

En vertu du décret en Conseil des ministres sur lequel se fonde l’arrêté municipal contesté, les redevances payées pour obtenir un permis de construire ne sont pas remboursées dans les cas où le permis de construire n’est pas mis en œuvre. En revanche, le décret ne prévoit pas que, si le projet de construction n’est pas réalisé, les redevances pour infrastructures ne doivent pas être remboursées.

Il avait été suggéré au cours de la procédure que, par analogie avec la redevance versée pour obtenir un permis de construire, les redevances pour infrastructures qui avaient été versées ne devraient pas être remboursées. Cependant, la Cour constitutionnelle a fait remarquer qu’il était inadmissible d’appliquer par analogie une restriction des droits fondamentaux. En outre, l’obligation de payer une redevance quelle qu’elle soit devrait être considérée comme une restriction du droit de propriété. Le décret ne confère pas à une collectivité locale le droit de ne pas rembourser les redevances pour infrastructures si le projet de construction n’est pas réalisé. Une telle restriction des droits fondamentaux est inadmissible.

Le conseil municipal de Riga avait outrepassé son habilitation en adoptant l’arrêté contesté. En conséquence, la Cour constitutionnelle a jugé celui-ci inconstitutionnel.